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Depuis que je suis revenu de mon premier trek au Népal il y a quatre ans, j’ai été fasciné par les oeuvres d’Eric Valli, un photographe et cinéaste français célèbre pour son travail sur le Dolpo, l’une des régions les plus reculées de l’Himalaya népalais. Lors de mes recherches pour ce voyage au long cours j’espérais secrètement trouver un moyen d’y aller. Vivre le Dolpo via mes cinq sens était un rêve. Un jour, sur mon flux Facebook, je suis tombé sur un post de Paulo Grobel — un alpiniste français et un grand fan du Népal — à propos d’une expédition à venir au Dolpo. Après quelques appels téléphoniques et une brève rencontre à Katmandou c’est réglé : je me joindrai à l’expédition.

Afin de documenter les préliminaires de l’expédition — et pour limiter les coûts au maximum — je suivrai l’équipe népalaise de Katmandou à Juphal, point de départ de notre aventure. En utilisant les transports locaux au lieu de l’avion, atteindre Juphal n’est pas une mince affaire. Il ne faut pas moins de deux bus, quatre jeeps — l’une d’elles coincée des heures durant au milieu d’une rivière, une autre trimballant vingt-trois passagers! — et deux jours de marche à travers des sentiers parfois pas plus larges qu’un double décimètre dans une gorge surplombée de marteaux-piqueurs 😱. Deux adjectifs me viennent à l’esprit : ‘effrayant’ et ‘abominable’. Nous arrivons à temps. Mais ce n’est qu’après deux jours d’une attente interminable que l’avion transportant le groupe arrive, bloqué à l’aéroport à cause des conditions climatiques.

Au début, je suis sceptique sur le fait de voyager avec un groupe. Jusqu’à présent j’ai toujours voyagé seul, parfois avec un guide, des amis ou avec ma compagne. J’ai peur de ne pas trouver la liberté qui m’est nécessaire pour pouvoir photographier correctement. Mais ces inquiétudes disparaissent rapidement. Le confort procuré par la bonne nourriture, l’ambiance générale de l’équipe et les mules qui portent ma charge valent largement le petit sacrifice de liberté. Est-ce qu’un photographe en meilleure forme physique fournit de meilleures photographies ? Carrément !

Cette fois-ci, à mon grand soulagement, pas de jungle chaude et humide à traverser. Le trek commence dans un climat alpin et après quelques jours les profondes forêts s’estompent dans un paysage de buissons et de poussière. Alors que nous marchons le long du sentier atour du célèbre lac Phoksundo nous sommes tous en admiration devant une telle grandeur (vous souvenez-vous de cette scène dans le film d’Eric Valli “Himalaya : l’Enfance d’un Chef” où un des yaks tombe dans un lac turquoise? C’est Phoksundo). La couleur de l’eau contraste avec le paysage environnant. Malgré la terrible lumière du milieu de journée, le lac est hypnotisant.

A partir de là chaque jour est une nouvelle surprise. Nous atteignons bientôt le pied du Kanjeralwa arborant de somptueux snow flutings, ces fines lignes de neige extrêmement photogéniques qui m’ont fait tomber amoureux de l’Himalaya. Les yaks commencent à renifler l’arrière-train de leurs homologues femelles — les dris — et à se chamailler. Sous les glaciers, des forêts de bouleaux vêtus d’or annoncent l’arrivée prochaine de l’hiver, bientôt confirmée par le gel qui recouvre nos tentes au petit matin.

Alors que nous approchons peu à peu des 5000 m, le souffle diminue et chaque pas demande beaucoup plus d’effort. Après le passage d’un énième haut col, nous nous vantons joyeusement d’avoir passé un autre Mont-Blanc tels des conquérants de pacotille arborant leur collection — une sobre collection de neuf Mont-Blanc au total. Les vues sur le chemin sont époustouflantes. Il est difficile de rester concentré sur la marche parfois dangereuse. Je m’arrête souvent pour un moment de contemplation profonde, vidant mon esprit et m’immergeant dans la magie de l’Himalaya. Tout aussi souvent je repars avec les larmes aux yeux car c’est probablement la seule et unique fois que je contemplerai cet endroit si éloigné.

Le Dolpo m’intéressait pour la culture et le mode de vie extraordinairement bien préservés de ses habitants, mais je ne m’attendais pas à de telles merveilles sauvages. En arrivant au camp d’été de Shey Gompa, je sais déjà que je ne vais pas non plus être déçu par les Hommes. Le Dolpo est l’un des rares endroits au Népal où l’on peut encore trouver des pratiquants du Bön, une religion venue du Tibet, très similaire au Bouddhisme tibétain hormis quelques subtiles différences — notamment dans le nom des protagonistes. Mais peu importe, les gompa, qu’elles soient bön ou bouddhistes, ont toutes cette atmosphère religieuse, presque surnaturelle, propre aux édifices séculaires de pierre et de terre, parfumés d’encens et enrichis par la présence de peintures, de statues et de livres religieux — parfois plus anciens que les gompa elles-mêmes.

La gentillesse et l’hospitalité des habitants de ces petites communautés éloignées ne sont pas non plus à sous-estimer. Dans le petit village de Pho — “la fin du monde pour les habitants du Dolpo” écrivait l’anthropologue Corneille Jest — je passe le plus clair de mon temps avec les villageois. Bien qu’occupés par la récolte ils sont toujours ravis de m’accueillir parmi eux pour passer un bon moment ou se payer une tranche de rire. Ils m’offrent ainsi volontiers une poignée de pommes de terre locales ou une tasse de thé ‘en échange’.

Il m’est difficile de quitter ce petit village. Les deux jours passés à Pho m’ont tellement apporté. C’est plus fort que moi, je n’y arrive pas. Le fait qu’il n’y aura pas âme qui vive durant toute la traversée de la semaine qui suit en rajoute certainement une couche. A contrecoeur, je commence à grimper. Les villageois, eux, descendent dans leurs champs. Je suis invité pour un dernier thé. On m’offre du chhurpi, un fromage sec de dri — la femelle du yak — et le traditionnel khata pour me souhaiter bonne chance. Maintenant, je me sens prêt à quitter le village… jusqu’à ce que je voie le soleil se lever derrière les montagnes. Un signe favorable ou un vieux tour de magie du dieu du village pour me garder ici ? La lecture de tous ces contes tibétains me rend de plus en plus superstitieux.

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